Au cinéma, vous le savez, les bonus permettent aux spectateurs de découvrir des images inédites. En littérature, ces passages coupés par l’auteur ou l’éditeur, restent la plupart du temps coincés dans des dossiers sur des étagères ou bien rangés sur le bureau des ordinateurs.
C’est mon cadeau de Noël, un peu en retard, voici un chapitre inédit du Tome 1. J’attends vos commentaires, vos retours.
« L’éclair fut long et si violent qu’il éclaira la contrée comme en plein jour durant une bonne dizaine de secondes. Ce bruit sourd et interminable terrorisa les villageois. Ils se terraient tous sous leur lit, ou dans les recoins les plus sombres de leur maison. De mémoire d’homme, jamais un orage n’avait duré aussi longtemps. La pluie et les éclairs s’enchaînaient sans discontinuer depuis une semaine. Les rues ruisselaient comme de véritables torrents et le ciel restait noir quelques soient l’heure du jour ou de la nuit.
En ces jours d’Octobre 1850, au cœur de la forêt de Trente, il tomba cette semaine là, plus d’eau que durant les dix dernières années. Le téléphone n’existait pas, l’électricité n’était pas encore maîtrisée, aucun des habitants de cette contrée reculée ne pouvaient appeler au secours. Tous sans exception crurent qu’ils vivaient la fin du monde.
Tous… Sauf une petite fille.
Dans la dernière maison de ce village située au milieu des arbres, Melidiane regardait avec ses petits yeux aussi ronds que bleus, sa mère parler aux éclairs qui s’abattaient à quelques mètres d’elle !
La maison, était articulée autour d’un modeste jardin central à ciel ouvert, comme un petit prieuré.
Véléonia se tenait au centre de ce patio, les bras levés vers le ciel, défiant l’orage avec une violence qui impressionnait Melidiane. Elle hurlait, criait, vociférait comme une folle après les éclairs. Ses longs cheveux gris qui flottaient autour d’elle, lui donnaient des allures de gorgone.
Les muscles de son coup se tendaient à chaque cri, et la petite fille à l’abri derrière une fenêtre, clignait à peine des yeux pour ne pas perdre de vue sa mère luttant avec les éléments.
Véléonia était une magicienne très puissante, elle était la petite fille unique de Merlin et avait traversé les siècles sans se soucier de ce que l’on pouvait raconter sur les gens comme eux.
Son visage sec mais féminin ne laissait pas de place au doute. Elle savait dominer les obstacles et convaincre uniquement du regard quiconque osait la défier.
Ses cheveux d’un blanc immaculé faisaient ressortir sa peau mate, et son corps tout en finesse donnait l’impression d’une plante immense. Sa grâce et sa coordination donnaient à chaque geste quotidien le sentiment d’une chorégraphie discrète et ondulée.
Mais dans les yeux de sa fille pour la première fois, il s’agissait d’une toute autre impression, bien plus angoissante, et totalement inconnue. Sa mère, bras tendus vers le ciel défiait chaque éclair comme si sa propre vie en dépendait. Son visage ruisselant de pluie se durcissait à chaque réponse de l’orage. Il s’avéra évident aux yeux de la petite Melidianne, que le ciel et sa mère était clairement en train de lutter l’un contre l’autre. Les éclairs, un à un se rapprochaient d’elle.
Elle ne voyait pas le visage de sa mère de face, mais percevait un changement évident, dans les trais, dans l’expression, et dans l’attitude de ce corps qui l’avait porté.
La robe bleue et légère faite de voiles mélangés, était complètement trempée et collait au corps de Véléonia quand l’ultime éclair de dix secondes déchira le jardin en deux parties distinctes.
L’ombre et la lumière ne faisaient qu’un et la petite Mélidianne dû fermer les yeux tant l’intensité de l’éclat fut violent.
Quand le bruit sourd et continu cessa, seule la pluie faisait encore du bruit dans la pénombre. L’orage semblait s’être arrêté d’un seul coup, et l’air fut immédiatement plus respirable.
Véléonia se tenait pliée sur le sol, un genou à terre et la tête baissée. Elle ne bougeait plus. Ce dernier éclair incroyablement long avait semblé toucher le centre du patio où elle se trouvait précisément.
Melidianne malgré son très jeune âge ressentait tout le drame d’un instant pareil, elle n’avait beau avoir qu’une semaine, elle concentrait son regard sur Véléonia, sachant très bien que ce qui se passait à l’instant même était aussi vital pour sa mère que pour elle.
Son corps fumait dans le noir, il émanait une sorte de lumière d’elle qui créait presque un halot dans la nuit. Melidianne retint son souffle, il était impossible de savoir si elle était encore vivante ou simplement statufiée.
D’où elle se trouvait, elle ne pouvait distinguer le visage de sa maman. Véléonia ouvrit les yeux d’un seul coup.
Ils étaient aussi rouges que lumineux. Les pupilles noires se fondaient dans la violence de ce nouveau et terrible regard.
La transformation était achevée.
Melidianne n’était plus une fée mais une sorcière. Elle ne reconnaitrait plus jamais les siens, passerait sa vie à les traquer pour les détruire et les faire basculer enfin dans sa caste. Il en était ainsi des sorcières.
Son gout, son odorat, son sens tactile et sa pensée avaient changé. Chaque fée transportait en elle son contraire et devait lutter en permanence contre son propre opposé.
La naissance d’un enfant et notamment d’une fille rendait chaque fée plus vulnérable que d’ordinaire. La magie étant plus puissante chez les femmes que chez les hommes, accoucher d’une fée épuisait encore d’avantage le corps d’une mère.
Véléonia se savait convoitée de part sa lignée fabuleuse avec Merlin, elle avait du cacher son premier enfant, Guiléone, pour éviter qu’il ne fut enlevé, et savait que sa deuxième et dernière naissance donnerait lieu à une lutte acharnée et sans merci.
Elle est restée debout durant ces sept jours. Affrontant les éléments dans tous leurs acharnements et dû plier devant le plus violent et le plus terrible des éclairs ayant frappé la terre.
Elle avait résisté jusqu’au bout, regardant une dernière fois sa petite fille avant de sombrer à jamais dans l’obscur et ses profondeurs sans âmes. Elle savait que ce regard resterait gravé dans la mémoire de sa fille. Les magiciens comme les fées conservaient la totalité de leur souvenirs durant leur existence, et cela dès le premier jour.
Une vieille main se saisit alors de la jeune Melidianne. Son père Melkaridion le magicien, avait fait ce qu’il avait pu pour sauver sa femme, en vain. Il avait assisté impuissant au déchainement de l’orage sur sa compagne de toujours. Une fée ne pouvait se retrouver que seule face à elle même. Toute aide extérieure s’avérait inutile et même dangereuse car elle pouvait déconcentrer celle qui luttait. Melkaridion était un des plus puissants magiciens de ce monde, et sa peine n’en était que plus douloureuse. Mais le temps qui influait d’ordinaire si peu sur la vie de ces êtres différents, demeurait en cet instant précis compté. Les yeux remplis de chagrin, il avait saisit sa fille Melidianne pour l’éloigner au plus vite de cette demeure maintenant maudite.
Il faudrait à peine quelques heures à cette nouvelle sorcière pour retrouver l’ampleur terrifiante de ses moyens. Véléonia n’était plus qu’un souvenir, mais cela signifiait bien plus qu’une simple image dans le cerveau des magiciens.
Il grimpa sur le dernier cheval que l’orage n’avait pas fuir, et parti au galop.
Melkaridion traversa la forêt de Trente aussi vite qu’il le put. Melidianne qu’il protégeait contre sa poitrine, s’était endormie grâce à la chaleur rassurante de son père. Il savait qu’une seule journée serait suffisante pour que la sorcière se mette alors à leur poursuite. Il devait gagner la mer au plus vite pour que toutes traces d’odeur corporelles s’effacent d’elles-mêmes. Ce qu’il fit en moins de quinze heures, grâce aux deux relais de chevaux qu’il avait trouvé sur sa route.
Mais au lieu de prendre le bateau comme la logique l’imposait, il décida de longer la côte en chevauchant sans s’arrêter. La sorcière comme il le supposait devrait choisir selon son intuition une direction vers la mer, ce qui semblait être la fuite la plus sécurisée. Selon lui, elle ne pourrait se douter qu’il resterait sur la terre ferme avec l’enfant. Le temps qu’elle s’en aperçoive, lui ferait alors gagner assez de distance pour l’éloigner à jamais… »